Quelques nouvelles nautiques des nomades océanique après une traversée de l'Océan Indien, ô combien mouvementée ...

Nous avons quitté Pulau Weh en Indonésie le 16 mai, quelques jours avant la fin de notre visa et content de sortir de l'environnement radical d'une société religieuse fervente en plein ramadan. La charia étant appliquée dans cette île, il est interdit de boire et de manger en public pendant la journée et mis à part les festivités du soir les journées étaient bien longues ... A part ça, ce furent 3 mois super avec des tas de rencontres et d’événements et c'est passé à toute vitesse ...

Puis une belle fenêtre de vent d'ouest sur 3 à 4 jours s'est présentée, donc on a profité de l'occasion pour hisser les voiles et mettre le cap au sud en direction de l'équateur et de l'hémisphère austral. Trois jours agréables au bon plein - travers avec 5 à 8 nœuds de vent, qui permettent à Moana de tenir ses 4 à 6 nœuds de vitesse et nous quittons rapidement la moitié Nord de la planète.

Je me frottais les mains, "c'est du gâteau, le plus dur est quasiment fait, plus qu'à toucher les alizés de Sud Est et direction plein Ouest avec Madagascar dans l'étrave ..." Bon, en fait, ça ne s'est pas vraiment passé comme ça !!

Tout d'abord le vent est tombé, pas de 'blem, c'était prévu, on avait pris un peu plus de gazole. Puis de gros grains ont commencé à se disséminer sur tout le ciel, et nous obligent à slalomer entre les cumulus. On passait en quelques instants de pas de vent et toute la toile à 35 nœuds et 3 ris partout. Sur une goélette de 20 mètres et à deux seulement ça fait beaucoup de manœuvres, et quelques heures plus tard pas de vent à nouveau. Quelques jours à ce rythme et nous voila complètement épuisés. Du coup on conserve 2 ris dans la misaine et la grand voile et on alterne le génois avec la trinquette. Mais cela fonctionne s'il y a du vent, et là c'était soit trop, soit pas assez ... puis pour arranger le tout le vent a viré au sud. Je comptais remonter jusqu'au 10° de Latitude Sud, mais là, dès 4° on a commencé à faire du S.W, toujours des grains et pas assez de vent et pas dans la bonne direction ....

Là, on perdu la girouette-anémo sur une prise de ris.

On a quand même réussi à se traîner jusqu'au niveau des Chagos de cette manière, avec du sud, dans le nez, cap au S.W. et une mer dans tous les sens, parfois plus de 4 houles croisées, des moyennes lamentables de 130 à 150 miles nautique par jour ... Sous la longitude de l'Inde l'AIS signale plusieurs cibles. Des cargo et pétroliers faisant route vers l'Afrique du Sud. L'un deux affichait une route de collision avec la notre, sachant que nous ne sommes pas visible, je prends la VHF et l'appelle alors qu'il est à 10 miles de nous :"Bulk Genius, this is Moana calling you, can you be aware that we are sailing in your direction". Ils confirment qu'ils nous ont vu et je continue mon quart. Une heure plus tard, alors que Nin monte sur le pont, une voix totalement stressée appelle à la radio : "Ship in front of my vessel, what is your intention ???" Dans le même temps il allume un énorme rayon laser vert qui balaye toutes les directions, style Star War ... On vire Moana sans même prendre le temps de lui répondre, et le monstre noir nous longe sur tribord à 150 mètres dans l'obscurité totale de la nuit. Un grand moment de solitude !!!

Là, on a perdu la radio BLU, plus aucune connexion avec la terre...

Je me disais " A partir de 7° de Latitude Sud, on va trouver les alizés de S.E. 3/4 arrière, on va glisser sur la grande houle, avec 20 nœuds de vents, on va friser les 8 à 10 nœuds de vitesse et dévorer les miles ..." Ça ne s'est pas vraiment passé comme ça !!!

Au niveau des Chagos, on se vautre lamentablement avec une journée de vent d'E. à 10 nœuds qui nous poussait tout juste à 3 nœuds plein vent arrière dans une mer chaotique. Pendant ce temps, à l'horizon une barre nuageuse noire se formait. Et quand elle a obscurcit le ciel, un vent de N./N.W. s'est déchaîné à 40 nœuds et nous revoilà au prés serré, 'tous ris pris' pendant les 3 jours suivant. C'est la zone où naissent les cyclones et je me demandais sérieusement si un de ces monstres climatique ne tentait pas une apparition tardive, pourtant le baromètre restait stable à 1012 millibars.

Là on a perdu le pilote automatique ...

Je me disais "Au niveau du plateau des Mascareignes on va enfin récupérer ce foutu alizé de S.E. et ses 20 nœuds par les 3/4 arrière. " ... Ça ne s'est pas vraiment passé comme ça !!!

Au niveau des Mascareignes, on est enfin sorti du ciel sombre et nuageux, le soleil est de retour, et le baromètre part à la hausse, un vent de 40 nœuds établis s'installe du sud, et nous voila 'tous ris pris' au prés - bon plein, à des allures vertigineuses: 10, puis 13, puis 15, et 17 nœuds, des journées à plus de 220 miles, et la nuits des grains et des grains et encore des grains ...

Chaque matin on constate les dégâts de la nuit :

Là un passavant tribord avant détruit,
puis, le lendemain le passavant arrière emporté par la mer,
puis, la nuit suivante, le coffre central éventré,
puis les passavants bâbord arrachés, ...
les cabines toutes trempées, etc ...

On dort dans l'humidité permanente, difficile de manger, de pisser, de rester sec en sortant dehors, de rester seulement assis sans se cogner ... le moral au plus bas, de voir Moana qui se détruit inexorablement sous les vagues comme des taureaux enragés, et le vent qui ne s'apaise pas, insistant dans sa force et dans sa direction ....

http://www.cycloneoi.com/archives-blog/infos-diverses/renforcement-de-l-alize-et-houle-australe-de-madagascar-aux-mascareignes.html

Finalement on voit enfin la Grande Île. On vise Diego Suarez, pour abattre avec le vent et le courant vers le Cap d'Ambre. Tout à coup le vent vient de l'arrière, on peut parler à nouveau sans hurler, les vagues sont énormes, Moana s'engage sur un surf dans une déferlante et passe à moins de 100 m des brisants de la pointe Vatobe à plus de 15 nœuds ... Adrénaline en overdose ...

Le Cap d'Ambre est derrière, plus de vagues, Moana glisse au près jusqu'à une île sauvage et déserte, qui va nous abriter plusieurs jours, le temps de "panser nos plaies". C'est magnifique, des orgues rocheuses bleues ardoises nous surplombent, de grosses tortues vertes reprennent leur souffle, un aigle marin nous survole, Le soleil se couche dans un spectacle picturale. Le temps s’arrête, le silence, le calme, la sensation de l’œuvre accomplie. C'était dur tout de même, mais ça valait le coup, rien que pour ces quelques jours de magie totale ...

Nin est une vraie louve de mer, elle en redemande, elle n'est pas seulement dotée d'un moral en acier c'est du marbre inaltérable ... je suis bluffé. On envisage des tas d’itinéraire sur Mada la magnifique, descendre dans le sud de l’île, remonter un fleuve, etc ...

3400 miles en 22 jours. Beaucoup de dégâts, mais rien d'irréparable. On a péché 2 petits thazards et un thon à dent de chien. Si j'avais encore des doutes sur la capacité de Moana à affronter le mauvais temps c'est envolé, mise à l'épreuve d'une mer sans pitié. Avec une meilleure prévision météo, j'aurais pu faire du sud lors du coup de vent de N.W. puis du nord avec l'alizé de Sud. Quant aux alizés de Sud-Est de l'Océan Indien, pour nous, ça reste du domaine de la légende ... Ce n'est pas un océan facile, plutôt violent et sournois, mais impressionnant par sa puissance et son coté sauvage ...

-- Pirogue à Voile MOANA -- L'Esprit des Coureurs d'Océan

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