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MOANA       ... dans le sillage océanique de la grande pirogue double ...

Te Mana o te HoroMoana / L'Esprit des Coureurs d'Océan / The Ocean Runners' Spirit

Tournesol raconte ...

Publié le 4 Janvier 2017 par Irmi

Tournesol sous le pont des 2 AmériquesSalut les amis et amies francophones,

 

C'est toujours Pascal qui vous conte les histoires de Tournesol, car moi, je m'applique à tenir les germanophones au courant des aventures de Tournesol.

 

Depuis notre arrivée sur les Marquises, je me dis: " Quelques rajouts de mon cru, pourquoi pas..." Mais le temps passe nettement plus vite quand on voyage qu’au boulot...

 

Finalement nous sommes à Apataki, petit atoll des Tuamotu et nous préparons notre Tournesol à un long hivernage. Les billets d’avion sont achetés, le 13 septembre nous arrivons à l’aéroport de Paris et nous nous réjouissons de vous revoir et d’arriver chez nous au Portugal pour la récolte des olives...

 

Pendant notre traversée de Nuku Hiva à Fakarava, 560 miles nautiques, j’ai lu un très bon livre de Michel Le Bris, « La beauté du monde ». C’est l’histoire d’un couple d’aventuriers du début du siècle dernier, lui compagnon de route de Jack London, elle âme sensible et femme forte. Il y a un très bon échange entre Osa et un chasseur au gros gibier du Kenya.

Je vais vous copier quelques extraits, histoire de vous mettre l’eau à la bouche...

 

« Je pensais à l’autre jour...Vous me posiez tellement de questions. Sur la beauté. Vous vous en souvenez? Alors j’ai imaginez pour vous une petite histoire. Oh! Je n’en ai encore que la trame, mais...envisagez simplement cette hypothèse: et si nous n’étions pas d’ici?

Non! Pas du Kenya! Enfin pas seulement. D’ici bas. Du monde. Si partout, en tout lieux, nous étions d’abord des étrangers, des exilés? Je lis peut-être trop la Bible, mais ce mythe de la Chute... Une histoire. Juste pour dire que nous ne sommes pas d’ici....

Et cet effroi, quand on se perd! Tenez, dans un bois. Vous cherchez des champignons, des airelles, que sais-je, les yeux au sol vous oubliez de prendre des repères, vous levez la tête, votre cœur s’arrête: perdu ! Comme ces arbres, si aimables jusque-là, paraissent agressifs, alors et ce lieu hostile ! Vous, ne vous êtes jamais perdue ? Tous les voyageurs savent bien qu’on ne voyage que pour se perdre...

Il reprit: elle avait bien, un jour, ressenti de mauvaises vibrations devant un appartement vide ? Souvenez vous, comme il vous était apparu froid, sans âme, étranger, et comme il vous a fallu du temps pour l’habiter...Eh bien, c’est la preuve qu’un lieu n’est pas un lieu si vous ne l’habitez pas, si vous ne le peuplez pas de vos rêves, de vos habitudes, de vos souvenirs, si vous ne le balisez pas de vos repères, si vous ne le doublez pas de votre monde intérieur. OK ?

Cette impression d’étrangeté...Imaginons que nous ne soyons pas d’ici.....Pour aller vite: nous serions tombés d’un Royaume de Lumière dans les ténèbres d’ici bas - mais quelque chose demeure, une nostalgie, le sentiment d’un manque, et dès lors nous n’avons cesse, dans les ténèbres du monde, le chaos de l’histoire, la méchanceté des hommes, de retrouver le chemin vers ce monde de lumière. Eh bien, je redis que c’est rudement bien ficelé ! Parce que si tel n’est pas le cas, expliquer-moi donc pourquoi nous voyageons, et ce que nous cherchons, ainsi, obstinément ?

L’inconnu du monde répondit-elle

Mais il y aura toujours une ligne d’horizon, la crête d’une montagne - et nous savons bien la quête sans fin. Parce que ce que nous cherchons n’est pas de ce monde. Sinon, cela ferait longtemps que nous l’aurions trouvé.

Et quand elle disait « l’inconnu »...ce n’était pas si sur. Pour que l’on ressente que quelque chose ou quelqu’un vous manque, il faut bien avoir, même vaguement, au moins eu creux, le sentiment de son absence, et donc que l’on ait, inconsciente, brouillée, fragmentaire, son image inscrite en vous.

En somme conclut-il, noue essayons juste de rentrer chez nous. »

 

Voilà pour moi un bon point de départ pour vous laisser entrapercevoir à quoi j’occupe mes neurones en regardant la mer. Pourquoi voyager, si longtemps et si loin et si lentement? Pourquoi se priver de la présence des amis, de la famille, si familière et bienfaisante ? De la sécurité et du confort de la société européenne ? Un facteur déclencheur est surement l’envie de l’aventure, la curiosité et le plaisir de voyager avec le vent s’ajutent...mais aussi le voyage à l’intérieur de moi-même, à la poursuite et découverte de mon âme. Que se passe-t-il si je quitte mon réseau social ? Qu’est qui va occuper le devant de la scène si le quotidien se transforme ? Comment j’ apprivoise mon reflet dans le miroir ? Où sont les frontières entre l’apparence et l’être ?

 

Et bien évidement, je n’ai pas (encore) toute les réponses...Donc je suis bien contente que Tournesol ne fait qu’une pause sue Apataki et nous attend pour la suite...

 

Pour les quelques idées qui se sont matérialisées dans les mois derniers quelques extraits de mon récit de la traversée Galapagos - Marquises...traduit, n’ayez crainte....

 

« Troisième jour, déjà la première dorade coryphène, une météo pour avancer à la voile. La mer reste agitée, donc nous sommes obligés de fermer les écoutilles, les vagues essaient toujours et encore de monter à bord, nos ventilateurs marchent... Le soir, je m’installe dans le cockpit, la pleine lune vient de se lever, les étoiles nous guident, tant que la croix du sud reste à bâbord et la grande ours à tribord, les Marquises sont dans l’étrave... Mes pensées s’évadent, je pense à Jack London et ses livres que j’ai dévoré pendant mon enfance. Si indiciblement loin et si attirant ces histoires. Et aujourd’hui, 40 ans plus tard je me retrouve ici, sous le ciel du sud et me demande si toutes ces années tendaient vers ce moment ? Vers la réalisation de ce rêve d’enfant, de mer et d’aventure ?

Mon cheminement était tout sauf rectiligne, j’ai rencontré beaucoup d’ obstacles et il y avait des pierres sur le chemin....mais aussi des gens, importants et aidants, qui m’ont accompagné sur mon chemin en m’offrant leur soutien. Un énorme sentiment de bonheur et de gratitude se réveille en moi. Des images des jours révolus passent devant mes yeux de « dedans ». Des moments difficiles paraissent plus clairs dans leur importance et signification. Devrait-t-il avoir raison, mon ami Broder, quand il dit: « Il n’y a pas d'ennemis, que des professeurs. » Est ce que les moments durs avaient le rôle de tester caractère et volonté ? De me préparer pour ce voyage, d’ouvrir mon cœur afin de ne pas seulement explorer le monde mais aussi « boire » le merveilleux ? Ca donne envie de savoir poser les mots comme Rainer Maria Rilke, qui exprime dans un poème que nous, les êtres humains, pouvons explorer le monde dans toutes ses facettes dans des moments quand « des grandes douleurs ou des sentiments doux prennent possession de notre cœur. »

 

N’importe, je suis heureuse d’avoir vécu ce moment. Dans cette nuit, vous étiez nombreux à mon bord, personne à attraper le mal de mer...

Particulièrement je remercie la vie, que le lien qui m’unit avec mes fils a su rester si beau et fort, malgré les séparations douloureuses, le divorce. Que tous les deux m’accompagnent en pensées, me soutiennent, me rassurent sur leur capacité de vivre « en adultes « , me souhaitent de vivre pleinement le moment présent. Bref, me laissent aller au bout de mes rêves, sans douter de mon amour inconditionnel. Le lendemain matin j’observe pendant un moment vent et vagues avant de tirer Pascal du lit. Il va falloir prendre des ris. La houle et les vagues se croisent, le Pacifique ne sait pas ce qu’il veut et est en conséquence moins « pacifique ». »

 

Et en mer comme à terre dans 13 jours il peut se passer bien des choses. Nous nous avons failli démâter...mais ça Pascal il vous en a déjà parlé....

 

« Encore 990 miles nautiques, ça continue à grincer dans le gréement, mais le mât, lui il tient. On doit prendre la vie telle qu'elle se présente et s'adapter en permanence. Le seul équilibre est le mouvement perpétuel...Et selon le vieux dicton chinois du verre qui est à moitié vide ou plein va falloir se décider si on pleure le rêve perdu de la traversée du Pacifique paisible avec l'arrivée sur l'île mythique de Fatu Hiva ou si on se réjoui du fait que le mât est toujours là...et nous en route sur les mers du sud. Je choisi l'option numéro deux, envoie la demande à Neptune de nous garder dans ses bonnes grâces, remercie nos anges-gardiens et la fleur de vie que j'avais installé la veille au matin à l'épontille. L'idée que mon âme avec ses sœurs et frères tient un "sit-in" au pied du mât et aide à tenir me fait rire. Le degré de ma fatigue trouve son expression dans ma question à Pascal: "Es-tu vermoulu ?" Bien sur je voulais savoir s'il était moulu...saloperie de langue !

Vendredi 30.mai, 22ième jour en mer, une semaine avec Tournesol "blessé". Ca peut vous paraitre bizarre d'utiliser le terme de blessure pour un bateau. Je vais essayer de vous décrire les liens qui se créent en haute mer. Le Tournesol est pour moi le troisième membre de l'équipage quand nous levons le mouillage pour une nouvelle étape. En tournant la terre le dos nous quittons les conditions habituelles de vie dans notre société. Nous acceptons de plein gré d'être responsable à 100% pour nous et les gens qui voyagent avec nous, de prendre soin. A quelques encablures du rivage aucun portable capte du réseau, aucune copine peut me prêter son oreille pour que je plaingne de mon mari, pas de Pizza Pizza non plus et la prochaine boulangerie est hors de portée... Pas de bande d’arrêt d’urgence non plus, ni de Maif assistance...quand le matériel donne signe de faiblesse ou pire... Ce qui fait que nous nous retrouvons dans une situation peu habituelle, rien que de « petits êtres » lâchés dans la nature, sans filet. Une société miniature, dans notre cas, deux êtres humains et un voilier. Et celui là est aussi important pour la réussite de l’aventure que le capitaine (Pascal) et le chef (moi). Ce qui fait que nous prenons soin de Tournesol avant de mettre les voiles comme de nous. Pour nous il y a de l’eau douce, de la nourriture et une petite pharmacie à bord. Pour Tournesol il y a une vérification générale avant départ, quelques pièces de rechange, du gasoil et du vent. En bref, on peut dire qu’il y a une relation d’interdépendance entre les voileux et leur voilier. Tournesol s’est battu autant pour son mât que nous, il a soutenu Pascal avec son fort balcon de pied de mât, évité de son mieux les vagues de travers et tenu bon jusqu’ici. Comme nous avons fait tout notre possible pour stabiliser le gréement, nous faire rire et de nous accorder mutuellement un maximum de repos et détente.

 

Nous avons réussi, notre trio est arrivé groupé, avec le mât que j’ai serré dans mes bras, plein de gratitude, les yeux débordent, je les sèche vite fait avant de serrer Pascal, alias Popeye, alias Spiderman. »

Voilà, voilà que le cerveau peut être en ébullition au large....

Gros bisous à vous

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K
Irmi & Pascal sont des amis qui ont traversé le canal de Panama avec leur petit cotre de 30 pieds *Tournesol* à flanc de Moana. <br /> Nous retrouvons Tournesol à Apataki 1 ans plus tard, puis à Nouméa 2 ans plus tard. <br /> Ce mail d'Irmi, soeur de cœur de Nin, nous inspire et retrace bien l'esprit de plénitude qui nous envahit au sein de l'océan ...
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